Bien avant son intronisation-surprise par les jurés du Nobel, Dario Fo pouvait être considéré comme l'un des grands bouffons de la réalité politique au XXe siècle. Mistero Buffo, fruit de ses recherches sur la culture populaire, s'inscrit dans la très lointaine tradition des jongleurs et bateleurs du moyen âge qui dénonçaient, par le rire, hypocrisies et injustices, brandissant ainsi la parole au nom de ceux qui en étaient exclus. "Mystère signifie : représentation sacrée. Mystère bouffe veut dire : spectacle grotesque. Celui qui a inventé le mystère bouffe, c'est le peuple. Le théâtre, spécialement le théâtre grotesque, a toujours été pour le peuple le moyen d'expression par excellence, un moyen de communication mais aussi de provocation et d'agitation. Le théâtre était le journal parlé et dramatisé du peuple." (Dario Fo) J'ajoute seulement : Caraïbe. Il y a trois ans, lors d'un voyage en Haïti, j'ai été confronté, dans les rues de Port-au-Prince, à un Mistero Buffo quotidien : même société médiévale aux violents contrastes - villas des padroni dominant les bidonvilles ; même foi enracinée en un Jésus des miséreux, espoir inscrit partout, jusque sur les carrosseries des "tap-tap" (minibus haïtiens) ; même énergie collective, même affirmation de la dignité de l'homme au sein du plus tragique dénuement ; même rire de survie, dernière arme pour conjurer la misère.