SHAKESPEARE / FEYDEAU : œuvres parallèles

 

Choisir de travailler sur Shakespeare et Feydeau au Théâtre de la Tempête, c’est permettre aux comédiens en formation de s’immerger dans un théâtre en pleine activité, en même temps que de se plonger dans deux répertoires vastes et riches et de se constituer un ensemble d’outils concrets.

Depuis plusieurs stages déjà nous concevons avec Bruno ces moments privilégiés comme des ateliers de pratique et d’expérimentation. Ce sont les auteurs et leurs œuvres qui nous conduisent à formuler et tenter de répondre aux questions spécifiques qu’ils soulèvent pour l’interprétation. Nous faisons le choix de confronter à chaque fois deux auteurs (Brecht-Claudel, Tchekhov- Levin, Genet-Viripaev). Cette mise en parallèle s’est révélée passionnante, dialectique, curieuse. Elle ouvre un champ d’interprétation à la fois vaste et borné.

Aujourd’hui, après avoir monté ou interprété Beaucoup de bruit pour rien, La Nuit des rois et L’Homme de paille, nous nous proposons de renouveler l’expérience des « œuvres parallèles » en choisissant
de travailler sur deux théâtre-mondes avec Shakespeare et Feydeau pour voir les scènes de l’un succéder à celles de l’autre, se confronter, se compléter, se contredire aussi. Du héros tragique au propriétaire amoureux,
de l’hermaphrodite philosophe à l’enfant roi, autant d’archétypes qui se meuvent dans ce double cosmos, qui est une chambre, qui est un théâtre.

Choisir ces deux partitions si contrastées, c’est aborder deux modes d’interprétation bien distincts, qui font appel à des techniques très différentes. Deux manières d’aller conquérir deux vertus essentielles de l’interprétation : l’ivresse et l’exactitude. C’est aussi une plongée dans deux œuvres majeures avec une idée derrière la tête : l’une peut éclairer l’autre.

Avec Bruno, nous aimerions approfondir le travail passionnant du geste et de la parole vive, engagé au cours de nos expériences communes au plateau et lors de nos précédents stages. Nous pensons que chaque dramaturge appelle des techniques propres et qu’il n’y a pas que l’action qui fasse récit dans un poème : il y a tout un monde d’images et de sensations, ordonnées
 ou chaotiques qui travaillent l’inconscient de l’acteur 
et du spectateur. Au travers d’exercices nous prêterons une attention particulière aux images, idées et sensations proposées par les textes et la manière de leur donner corps. Des outils donc, et non une méthode : nous voulons proposer une pratique ouverte plutôt qu’une esthétique.

Nous tenons à mener un stage boulimique avec un grand volume de scènes. Nous laissons le champ de nos deux répertoires ouvert. Les stagiaires proposent les scènes qu’ils veulent jouer. Leur désir est premier. Nous voulons nous mettre au service de la relation de l’acteur avec l’auteur. C’est Tchekhov, dans une lettre à Maxime Gorki du 3 janvier 1899, qui définit le mieux à mes yeux l’objectif exorbitant, presque inavouable, que nous nous fixons : « Lorsque, pour un effet déterminé, on met en jeu le minimum de gestes, cela s’appelle la grâce... ».

Clément Poirée

Intervenants